La planète des singes et des cuisiniers (1)

L’alimentation est souvent observée à la lorgnette de l’évolution humaine, de ses gènes, de ce que l’on mangeait depuis les temps ancestraux. Tout le monde a l’intuition que nous sommes biologiquement conçus pour manger certains aliments, et pas d’autres, aux différences individuelles près que je mets de côté pour cette série d’articles.

Ainsi, on est tous d’accord sur le fond. Mais une méconnaissance des études scientifiques, et surtout des implications de la génétique et des sciences naturelles, aboutissent à un foisonnement de théories, d’hypothèses, d’affirmations en tout genre. Certaines sont par exemple assez farfelues, telle la théorie des groupes sanguins de D’Adamo, bien que séduisante pour les néophytes : l’adoption de n’importe lequel de ses régimes permettra une amélioration chez une personne qui se nourrissait mal auparavant. Bingo, sa théorie a gagné un adepte. D’autres sont bien plus vraisemblables et convaincants, comme le crudivorisme, et ses avatars : seignaletisme, instinctothérapie, paléocru, raw-véganisme, frugivorisme (ou fruitarianisme, un poil différent), ou encore l’alimentation paléo qui revient souvent sur ce blog.

En ce moment, je lis les ouvrages de Richard Dawkins, empruntés en médiathèque. Tantôt décrié, tantôt adulé, c’est un peu le chef de file des néo-darwiniens, avec Stephen Jay Gould. La lecture du plus grand spectacle du monde est raffraichissante : une vraie leçon de vulgarisation scientifique, d’un gars passionné par ce qu’il étudie.

La théorie de l’évolution nous enseigne ainsi que nous ne descendons pas du chimpanzé, ou même du bonobo (singe duquel on est le plus apparenté). En revanche, chimpanzés, bonobos, et hommes descendons tous d’un ancêtre commun. Même si cet ancêtre commun ressemblait plus à un chimpanzé d’aujourd’hui qu’à l’homme actuel, ce n’est pas la même espèce : la séparation a bel et bien eu lieu il y a quelques millions d’années. Le fait est que l’homme semble avoir évolué plus vite ou vers une autre direction pendant tout ce temps*.

Mais l’évolution ne s’arrête pas, il faut la considérer comme un continuum : si l’on établit une chaîne sur plusieurs kilomètres avec tout les individus, d’une génération sur l’autre, on verrait aucune différence. En sautant par exemple 1000 générations, la différence commencerait à être à peine perceptible. Sur 500 000 générations, on devrait différencier deux espèces différentes. Ainsi, la notion de chaînon manquant n’a pas de sens. Même notre classification des animaux est partiellement fausse, car ne représente l’ensemble des animaux qu’à un moment donnée, comme une photographie. La classification ne tient pas compte de l’aspect dynamique des évolutions de l’ensemble des espèces. Aussi, nos poissons actuels ont peu à voir avec les poissons primitifs, d’avant même l’apparition des amphibiens…nous ne descendons pas plus du singe que de la truite !

On sort très souvent l’affirmation suivante : l’homme partage 98 % de ses gènes avec le chimpanzé. Soit. En fait il s’agit seulement d’une comparaison de la longueur de nos ADN respectifs, cela n’indique pas qu’il y a 98 % du code génétique en commun : en comparant les deux génomes, on se rend compte qu’il y a des trous, des parties codantes chez les uns et absentes chez les autres. On n’a donc pas les mêmes gènes aux mêmes endroits des séquences comparées d’ADN. La différence des pools génétiques entre les hommes et les chimpanzés est probablement plus grande.

Une simple observation biologique des deux espèces (hominidés et chimpanzés) permet de conclure sur des différences significatives : chez l’homme, il y a acquisition de la bipédie, du langage parlé, de la taille du cerveau. En fait, ce sont des caractéristiques humaines qui différencient l’homme de tous les autres primates (donc, des gorilles, des orang-outans, etc.). De ce point de vue, il ne serait pas exagéré de classer l’homme dans un autre ordre que celui des primates, tant ces différences semblent importantes.

Sur cette base là, je dirais qu’intuitivement, ce n’est pas parce que certains primates sont nos plus proches cousins…que leur alimentation est la notre ou que nous sommes conçus pour manger comme eux. On ne peut pas rejeter le fait que nous avons fait un bout de chemin (au hasard…en dehors des forêts africaines) que les autres primates n’ont pas fait, et que cette évolution, sur plusieurs millions d’années tout de même, est significative, et s’exprime dans nos gènes.

L’argument selon lequel nous devons suivre le même régime alimentaire que les autres primates du fait de notre parenté génétique avec eux est au mieux un hasardeux raccourci, au pire totalement fallacieux. Il faut donc étudier un peu la question, cela implique aussi de s’interroger sur l’humanité, au moins biologiquement.

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*Certaines espèces semblent avoir très très peu évolué en quelques millions d’années, quand on compare l’espèce actuelle, et les fossiles – datés au carbone 14 -. C’est le cas du cœlacanthe par exemple, que l’on croyait disparu. On peut émettre l’hypothèse qu’avec une machine à remonter dans le temps, on pourrait reproduire des cœlacanthes actuels avec ceux du passé, rien n’est moins sûr toutefois.

17 commentaires sur “La planète des singes et des cuisiniers (1)

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  1. J’ai quasi tout essayer en tant que régime santé… végétarien, végétalien, frugivore, fruitarien, cru, instincto, et voilà que je suis en mode Paléo ! lol
    Je mange cru et cuit, beaucoup de gras, pas mal de protéines, très peu de sucre, comme nos amis paléo, mais aussi Inuits, Indiens, Mongoles, Masaï….
    Et figurez-vous que c’est ainsi que mon corps se soigne le mieux, qu’il mincit et se sculpte avec très peu d’effort, je me sens plus humaine et le cerveau gagne en efficacité…

    Je continue d’expérimenter, de chercher, m’informer, c’est devenu une passion.

    Quant à la différence frugivore/fruitarien : comme on me l’a appris, chez les english et les frenchy : frugivore = qui mange principalement des fruits, mais aussi des légumes, verdures, noix (mais principalement des fruits et peu de gras le plus souvent) fruitarien ne mange Que des fruits (mais bon, souvent un peu de noix aussi, mais no légumes, no verdure). Fruits = fruits sucrés et fruits tels que concombre, tomates, avocats (en fait tout ce qui contient la graine inside).

    Bref…
    J’ai ouvert un groupe sur facebook pour ceux que ça intéresse (french et anglais) : « Paléo Style » http://www.facebook.com/groups/269528403071182/
    On parle cru, cuit, lait, beurre, fromage, bref, thé café, on vadrouille dans le paléo et l’exemple des popultaions dites « primitives », on cherche, on expérimente…

    Merci pour le blog Sylvain !

    1. Merci pour tes commentaires !

      Quel chemin parcouru ! Mais c’est la vie…on prend des cheminements, on se teste. Puis on se stabilise…ou pas.

      J’ai noté le groupe sur Facebook, je vais le linker ici-même.

  2. Le gros problème de Dawkins c’est qu’il tente de réduire la vie et l’évolution aux gènes via le « dogme » de la biologie moléculaire. C’est beaucoup plus complexe que cela et donc la position de Dawkins est outrageusement réductrice comme le montrent ne fût-ce que les découvertes sur l’épigénétique et bien d’autres choses. Mais ceci dit ses ouvrages méritent amplement d’être lus.

    Pour avoir une vision plus large et bien plus appropriée de la biologie théorique moderne on peut lire certains ouvrages de Stuart Kauffmann.

    Pour le reste ton article résume bien le fait qu’aucun des concepts ou principes invoqués ou proposés ( cru, paleo, zero carb, etc) par les différents gourous de régimes alimentaires proposés jusqu’ici et soit-disants « optimaux » pour homo sapiens ne peut être réellement satisfaisant et acceptable dans son sens strict.

    Justement à cause du caractère dynamique à toutes les échelles de temps de l’évolution et de la nature même des êtres vivants.

    1. Tu as sans doute raison, mais je ne suis pas spécialiste. Par contre, il sait raconter les choses, ou en tout cas il a appris à le faire, parce que je suis sur le gène égoïste et c’est un peu moins passionnant à la lecture. Quoiqu’il en soit c’était juste une introduction, histoire de montrer que nous ne sommes plus les mêmes primates que nous avons pu être, ou que ceux qui existent à l’heure actuelle, et que cela aurait éventuellement quelques conséquences sur notre régime alimentaire. Une évidence, une tautologie ? Pas pour tout le monde, il me semble !
      (je note Stuart Kauffmann dans un coin de mon esprit)

  3. Mais justement ma remarque sur Dawkins visait le fait que selon son point de vue neodarwiniste pur ef dur basé sur le dogme central de la biologie focalisé sur les gènes et le déterminisme génétique ainsi associé nous devrions précisément être très proches du chimpanzé avec lequel nous partageons presque tous nos gènes. Or il n’en est rien justement comme tu le fais toi-même remarquer à juste titre et ceci est donc en fait en contradiction avec la position neodarwiniste de Dawkins

    D’ailleurs les gènes changent très très peu même entre porc, lapin et humain qui en ont un paquet tout à fait identiques.

    Autrement dit, ce que je voulais souligner c’est que dès que l’on dépasse le néodarwinisme il n’y a plus à s’étonner que proximité génétique n’implique plus du tout proximité du régime alimentaire par exemple comme le supposent certains gourous raisonnant justement dans le cadre erroné du néodarwinisme .

    1. Oui. Il suffit que peu de gènes, mais les « bons » évoluent, pour que ça ait des conséquences fondamentales. Même si le reste est identique. De mémoire n’est-ce pas la différence entre phénotype et génotype ? 😉

  4. En fait il n’y a même pas besoin de changer les gènes eux-mêmes pour évoluer il suffit de changer leur position ou nombre de copies sur la chromatine et les quantités d’ADN non codantes sur celle-ci ou simplement les méthylations et autres effets épigénétiques sur les gènes pour changer les choses. Et surtout l’essentiel de l’ADN n’est justement pas codant (ne correspond à aucun gène du tout et est appelé junk ADN par les plus naîfs des neodarwinistes) mais joue pourtant sans doute un rôle essentiel par exemple dans la probabilité d’expression et la transcription des gènes en ARN. Et cette transcription n’est nullement déterministe et ses règles n’ont jamais pu être établies.

    Autrement dit si un « changement dans un gène peut impliquer une évolution » la réciproque néodarwiniste à savoir  » une « évolution implique un changement dans au moins un gène » n’est même pas vraie.

    1. Tu me largues là, trop de mots que je ne connais pas (métylathions surtout, le reste ça va), à vrai dire, je méconnais les dernières « évolutions » de la génétique (mais je retiens Stuart Kauffman dans un coin du cerveau…à ce que je vois, pas encore traduit en français ??? Mais que fait la police ?). Ce que je retiens c’est que l’approche (néo)darwinienne est bien trop étroite et ne permet d’expliquer qu’une composante de l’évolution en passant sous silence une grande partie des phénomènes biologiques.

    1. Ah l’environnement…en fait on retombe sur les vieilles lunes que sont l’inné et l’acquis ?
      En tout cas, on comprend bien que la sélection naturelle, qui, même si elle existe, n’est pas le seul phénomène à l’oeuvre. Mais dans tout les cas, après la lecture du premier lien wiki, c’est tout de même l’ensemble du système génétique qu’il faut appréhender :

      /auto-vulgarisation on/ on a plus à faire à un livre organisé en chapitres et paragraphes intouchables, mais à quelque chose de plus malléable. Une sorte de classeur où on pourrait changer les pages de place, idem les intercalaires, où l’on pourrait repeindre la couverture dudit classeur, écrire sur les pages même de nouvelles phrases…alors que chez Dawkins, il y a juste effacement ou modification de certains caractères, parfois de phrases entières, le reste étant inchangé.

      /auto-vulgarisation off/
      Cela dit c’est tout un pan que je ne connais pas, qui m’a l’air passionnant. Le problème c’est que du coup, les amateurs de théories simples et faciles à comprendre sont frustrés…la nature est…complexe.

  5. Bonjour et d’abord merci pour cet excellent blog !
    Je découvre le Paléo après être passé par pas mal de « cases », notamment frugivorisme/fruitarisme. Pour l’instant c’est plutôt concluant, mais encore trop tôt pour être sûr.
    Je tenais à faire 2 remarques :
    – d’abord nos plus proches cousins, les chimpanzés sont dit frugivores à tendance omnivore, ils mangent pas d’insectes (ramassés avec des bâtons) et pratiquent occasionnellement la chasse en groupe (entre autres ils bouffent d’autres singes !) ; cela dit leur alimentation reste majoritairement glucidique… là où je veux véritablement en venir, c’est que les frugivores mettent en avant de manière plus satisfaisante – selon moi – que l’argument ADN, l’homologie des appareils digestif chez le chimpanzé et l’homme ; là je pense qu’il y a un argument ; néanmoins dans une vidéo de la Wise Tradition, une femme mettait en avant la nécessité pour le développement cérébral de manger des nourritures concentrées, et faisait des remarques intéressantes sur la taille de l’appareil digestif : cet argument m’a semblé très juste dans la mesure où c’est la trop grande quantité de matériel alimentaire qui m’a rebuté à un moment donné dans le fruitarisme.
    – par rapport à la bipédie : vous envisagez une acquisition de la bipédie par l’évolution de la lignée humaine depuis le dernier ancêtre commun avec le chimpanzé… Ok, mais on pourrait tout aussi bien concevoir que les chimpanzés ont perdu la bipédie, de même que les autres primates plus avant dans l’histoire (théorie de la bipédie initiale). Il y a des arguments très intéressants qui penchent en faveur de cette perspective ; ceci dit cela est anecdotique eu égard au sujet 🙂

    à bientôt
    Ruzbehan

    1. Rien à redire sur les glucides, on est une espèce où les ratios des macronutriments ne semblent pas jouer étant donné l’extrême diversité des alimentations.
      Après la bipédie…on va dire que faute d’avoir été sur place à l’époque, ça reste relativement spéculatif…on va attendre de nouveaux squelettes 🙂

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