Gérer la dissonance cognitive en nutrition

Je planche à l’heure actuelle sur un sujet qui me donne du fil à retordre. Non pas qu’il soit compliqué en soit, mais…j’ai du mal à conclure. En clair, j’ai peut-être du mal à avoir un avis. Cela ne m’empêchera pourtant pas de palabrer dessus et de confronter les différentes thèses. C’était dans cet esprit que j’ai commencé mon blog, mais parfois l’esprit s’encrasse et devient fainéant, acquiert des automatismes de pensées, parfois en opposition avec les faits reconnus.

Gérer la dissonance cognitive, c’est en premier lieu garder l’esprit ouvert et hostile au moindre dogmatisme. C’est donc garder la tête froide face à des nouvelles données en contradiction avec ce que l’on pense habituellement, c’est aussi avoir un esprit critique, ou parfois sceptique. C’est aussi la possibilité de faire une synthèse qui englobe un peu l’ensemble des connaissances dont vous disposez. Dans tout les cas il va falloir accepter, hélas que bien des gens, y compris des chercheurs réputés, ne soient pas d’accord avec vous. Deux personnalités au pedigree scientifique reconnu peuvent aussi être en profond désaccord.

Idéfix semble vague perturbé…

Un bel exemple de dissonance cognitive qui m’a concerné, il y a quelques jours : Denise Minger (oui encore elle) publie sur son blog un long et superbe article documenté sur les fruits sauvages. Sur mon article Paléopportunisme, je tenais un certain discours sur les fruits. Bon bah, quelques mois plus tard, je dois réviser mon avis : oui certains fruits sauvages peuvent-être énormes, juteux, sucrés tout ce que vous voulez. Même l’argument de la saisonnalité semble faux. Bon, hé bien, je m’incline. Si les fruits domestiqués diffèrent si peu des fruits sauvages, alors ils ne posent probablement pas de problème. Ou en tout cas, ça reste à démontrer. La conclusion de Denise sur le contexte actuel de la santé individuelle est intéressant. En soi, les fruits ne sont pas mauvais, mais si l’on souffre de troubles métaboliques, par exemple, peut-être qu’ils ne seraient pas indiqués. Ou peut-être c’est le sucre raffiné, et uniquement lui qui, dans le cadre d’une alimentation pauvre en micro-nutriments qui serait problématique ? Cela semble plus raisonnable.

Quoiqu’il en soit, si vous, à votre niveau individuel apercevez des symptômes particuliers quand vous mangez des fruits, peut-être que vous êtes relativement intolérant au sucre, et ce, malgré les fibres, vitamines et minéraux. Et donc peut-être que vous devez les limiter. On peut distinguer des tendances générales en nutrition, mais ce qui compte au final, c’est moi, c’est vous, c’est l’individu qui importe. Comment réagissez-vous face à tel ou tel aliment ? Si je vous dis que les asiatiques mangent très souvent du riz, et pas qu’un peu et se portent comme un charme, mais que chez vous le riz vous fait atteindre des sommets d’hyperglycémie, que ferez-vous ? Bien, vous vous adapterez à votre corps et vos besoins, et ferez attention à l’IG de vos repas. Bien se connaître, se tester est primordial. Parfois en dépit des études scientifiques…

 Alors, bien sûr, cela n’est guère évident. Imaginez donc Madame Michu lisant le quotidien 10 Minutes en prenant le bus le matin :

« Le Docteur Goldblum est un médecin nutritionniste reconnu et auteur de nombreux ouvrages, nous l’avons interviewé pour vous :

– Que faut-il éviter dans l’alimentation ?

– Les graisses saturées, et privilégier toutes sortes de glucides. Les graisses saturées vous font augmenter le cholestérol et vous bouchent les artères »

Madame Michu, revenue du travail le soir, tape sur google graisses saturées et tombe sur des avis contraires, parfois très à propos comme une méta-analyse de qualité.

Que va-t-elle retenir ? L’avis du docteur Goldblum, je vous le donne en mille. Après tout, il est diplômé, il sait ce qu’il dit, et ce n’est pas un blogueur inconnu sur Internet. Cela s’apparente à un argument d’autorité.

Ce que je veux dire c’est que la question de la nocivité des graisses saturées peut se discuter, il est probable qu’un excès d’acide palmitique ne soit pas bon (surtout dans une aliment à base de junk food). Car de tout les acides gras saturés, c’est celui qui semble poser un souci, la plupart (surtout à chaînes courtes ou moyennes) semblent au fil du temps trouver grâce auprès des nutritionnistes. Et les triglycérides formés de palmitate sont ceux qui se stockent le plus facilement. D’un autre côté, le corps fabrique son propre palmitate via la néolipogénèse…serait-il masochiste à ce point ?

De même, si l’on suit la plupart des sites généralistes de nutrition (lanutrition.fr, à tout hasard), parfois les infos se contredisent entre elles, en plus de foisonner, c’est une vraie jungle. Difficile de séparer le bon grain de l’ivraie. La science nutritionnelle peut se comparer à la science économique : elles sont jeunes toutes les deux, et plus complexes qu’il n’y parait. On y rencontre dans les deux cas des mouvements idéologiques (que cela soit végan ou paléolithique ou méditerranéen…), et une relative incapacité à se nourrir, sans jeu de mots, des apports des uns et des autres.

Pour qui s’intéresse à la nutrition un peu plus que Madame Michu, on doit donc gérer la dissonance cognitive. Ou tout simplement, comment se constituer un avis avec deux (voire plus) sons de cloche différents, voire à l’opposé. Cela veut dire accepter les thèses avec lesquelles on n’est pas familier pour mieux les appréhender. On doit aussi un peu, se rebeller contre les recommandations officielles. Paul Scheffer dans une interview accordée sur lanutrition.fr appelle ainsi à développer son esprit critique en dépit des formations de diététicien. Patricia Chairopoulos dans un excellent article sur le dernier Science et Avenir tente d’y voir plus clair derrière le « manger 5 fruits et légumes par jour » et le consensus apparent n’est…qu’apparent. Il est ainsi sain de creuser un peu plus la question et de ne pas s’arrêter à ce que l’on croit être des évidences.

Mais parfois, deux excellentes analyses se contredisent. Cela donne lieu à une bataille, d’arguments, de chiffres et d’études sans merci, tout aussi convaincants les uns que les autres. Et au delà de la polémique, le simple consommateur averti, qui tient à sa santé (le plus important !) est perdu. Parce qu’au bout du compte, il faut bien se nourrir, choisir judicieusement ses aliments !

Jusque là, j’ai pu me faire un avis. Jusqu’à m’intéresser au lait et aux produits laitiers que j’aborderai d’ici quelques temps. C’est simple, tout m’incite à ne pas avoir d’avis tranché et à rester prudent. Je vais faire ce que je peux pour dégager un semblant de synthèse…!

6 commentaires sur “Gérer la dissonance cognitive en nutrition

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  1. salut Sylvain, j’ai été menée à cet article par celui du 5/9/14. J’y réponds un peu tard.
    « Dissonance cognitive »: quel merveilleux terme pour résumer nos cauchemars de chercheurs en « ton juste en nutrition ».
    Ma solution, pour qu’on arrête de s’arracher les cheveux qui nous restent: testez un mode alimentaire précis sur vous même, sans ratiociner, pendant quinze jours; puis demandez son avis à votre corps, il sait mieux que vous et certainement mieux que les grands mamamouchis de la nutrition.
    C’est la raison d’être des diverses cures que j’ai publiées, une cure étant choisie par un coach en fonction de ce qu’il subodore du profil et de l’état organique du mangeur. Le poids des faits, le choc des sensations! ça vaut tous les discours
    (je vais faire fin septembre une série de minividéos d’une minute pour les présenter chacune)
    Et, dans le sillon de ce mode de pensée, on n’entre dans aucune polémique puisque tout le monde a raison, mais pour soi, individuellement…. ciao Taty Lauwers

  2. Salut Sylvain, il y a un truc à quoi ton article me fait penser (partout, non seulement en nutrition) : notre monde est dirigé par notre pensée binaire : être pour ou contre quelque chose, voir en noir et blanc etc. Or, le monde des couleurs est simplement que des nuances de gris (oui-oui, documenté dans la peinture 🙂 alors, à un moment donné il vient un temps quand on se rend compte qu’on ne peut pas voir en noir et blanc et aussi que toutes les deux couleurs sont bien présent dans le gris :-)) selon les philosophes, the web of life, Ken Wilber, Joel de Rosnay, etc. après l’approche analytique du monde il vient le temps de l’approche systémique. Et même là, il y a un piège à éviter : les deux ne sont pas opposé, mais complémentaires ! Alors, oui, voir les détails, lire les études analytique, pourquoi pas? Mais toujours gardant en tête que c’est vrai dans un contexte uniquement (et je ne parle même pas de la physique/biologie quantique où on sait depuis belle lurette que la personne de l’observateur influence le résultats…), et regarder « the big picture » et prendre de la hauteur pour observer pour ne pas rester empêtré dans la gadoue en bas et se perdre dans les détails…
    Bon, c’est juste l’inspiration du moment, mais je voulais partager avec toi….

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